Les 3 sites

PRÊTRES DÉPORTÉS sur les PONTONS

DE ROCHEFORT

durant la RÉVOLUTION FRANCAISE

Un peu plus d’Histoire

Situation des évènements dans le contexte de l’époque.

« Les Pontons de Rochefort, 1794-1795 » de Pierre Bour,  fut édité par le Musée d’Art et d’Histoire de Rochefort, pour l’exposition du 1er juillet au 29 octobre 1994, à l’occasion du bi-centenaire

« Il s’agit là d’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire religieuse de la Révolution française. »

La France, fin 1788, est en crise. Louis XVI, désireux d’engager des réformes, décide d’organiser des Etats généraux. Les trois ordres (noblesse, clergé et tiers-état) se réunissent séparément et s’expriment sur la crise et les solutions à y apporter dans des Cahiers de doléances. Ces derniers nous révèlent que l’Eglise n’était pas hostile aux réformes, elle acceptait même de contribuer à l’effort national.

Mais l’Assemblée constituante (nom donnée aux Etats généraux à partir du 9 juillet 1789, instaurant ainsi une monarchie constitutionnelle) décide de légiférer dans le domaine spirituel et vote la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790.

La Constitution civile du clergé

La Constitution civile du clergé transforme les ecclésiastiques en fonctionnaires élus par l’assemblée des citoyens actifs, et évince le Pape de la nomination des évêques. Ceci n’est pas acceptable par le Saint-Siège. (*)

Les prêtres constitutionnels, assermentés ou jureurs sont ceux qui se soumettent à cette constitution, les réfractaires ou non-jureurs sont ceux qui refusent de prêter serment. Les assemblées successives condamnent à l’exil, à la réclusion puis à la déportation les prêtres réfractaires (mais aussi des assermentés !) L’Eglise souffrira lourdement de ces évènements : les lieux de culte sont fermés, la pratique interdite, des prêtres sont massacrés.

La Terreur à Rochefort

Le 21 septembre 1792, la Convention succède à l’Assemblée législative, qui elle-même avait déjà remplacé l’Assemblée constituante. La République est proclamée le lendemain. La Société populaire et le Comité de surveillance (institutions révolutionnaires locales) fraîchement mises en place, font de Rochefort une ville ultra-jacobine. Lequinio et Laignelot, les représentants du peuple envoyés par la Convention seront chargés de faire appliquer à Rochefort le régime de la Terreur, décrété le 5 septembre 1793. Les prisons se remplissent, 52 têtes tomberont place Colbert, où est installée la guillotine.

Les convois des prêtres déportés

Un arrêté du Comité de salut public (25 janvier 1794) organise le départ des prêtres réfractaires vers les ports de l’Atlantique, où ils doivent être regroupés avant leur déportation. Ceux qui sont emprisonnés à Nantes seront noyés par Carrier, et finalement, seuls Bordeaux et Rochefort mettront en œuvre les directives du comité.

Théâtre de la déportation des Prètres en Charente Inférieure 1794 - 1796

Les convois de déportés traversent la France pendant l’hiver et jusqu’au printemps 1794, parcourant parfois jusqu’à 800 km. Les conditions de voyage (parfois à pied) sont souvent difficiles, en raison des nuits passées en prison aux étapes, et des insultes et brutalités endurées à certaines haltes. Ils sont souvent systématiquement dépouillés.

Les Déportés arrivent dans Rochefort - Gravure C. Mériot

A leur arrivée à Rochefort, ils seront incarcérés dans différents lieux

Prison St Maurice

Couvent des Capucins

Les déportés sont finalement entassés dans deux anciens navires négriers, les Deux-Associés et le Washington, réquisitionnés après l’abolition de l’esclavage par la Convention le 4 février 1794. Destinés à partir pour la Guyane ou les côtes d’Afrique, les bâtiments ne quittèrent cependant pas l’estuaire de la Charente. En état de naviguer, ils n’étaient donc pas de véritables pontons (navires retirés du service, déclassés et démâtés pour servir de magasin ou de prison) mais ils en remplirent les fonctions.

Les pontons.

Le commandement des navires fût assuré par Laly pour les Deux-Associés et Gibert pour le Washington. Ils appliquèrent avec leurs équipages, les consignes de sévérité avec rigueur, les aggravant même parfois : pas de prière, injures, menaces, brimades physiques, nourriture infecte, pas de conversation. Mais les prisonniers continueront dans le secret une activité religieuse.

« Ces hommes étaient rayés du livre de la République, on m’avait dit de les faire mourir sans bruit… » Capitaine Laly.

« Leurs cruels geôliers se sont donnés la barbare jouissance de disposer de la vie et des biens des malheureuses victimes qu’ils tenaient enfermées. » Officier de marine Seguin.

Les décès dus aux conditions de détention s’accélèrent, le scorbut, le typhus font des ravages. L’épidémie est telle qu’enfin les prisonniers valides sont transférés sur un troisième navire, l’Indien, tandis que les plus malades sont débarqués sur l’île citoyenne (l’île Madame) où beaucoup périront. L’automne 1794 est particulièrement rude, et en novembre, le vent renverse les tentes de fortune de l’hôpital installé sur l’île, les survivants sont alors à nouveau embarqués sur les navires. Les conditions matérielles de détention s’améliorent quelque peu tandis que la neige et le gel s’installent. En décembre, trois bâtiments chargé de prêtres et provenant de Bordeaux, (le Jeanty, le Dunkerque, et le Républicain) se réfugient dans l’estuaire (les anglais bloquent les côtes).

La fin de la Terreur

Lors du Coup d’Etat du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) Robespierre, principal instigateur de la Terreur, est exécuté, et c’est pour la République un nouveau départ. Des épurateurs écartent les éléments les plus extrémistes de la dictature révolutionnaire. Les institutions du régime précédent (Tribunal révolutionnaire, clubs et associations patriotiques) sont généralement supprimées. Bien des prisons commencent à s’ouvrir. A Rochefort, le représentant Blutel transforme la Société Populaire.

Cependant, en cette fin d’année 1794, les pontons gardent toujours leurs prisonniers. Quelques-uns sont libérés mais aucune mesure collective n’est prise.

Grâce à quelques initiatives individuelles (notamment des interventions auprès de la Convention), le transfert à Saintes des prêtres déportés de Rochefort a lieu en février 1795. Ils peuvent y célébrer à nouveau le culte et administrer les sacrements dans les oratoires privés.

Abbayes aux Dames

Sur les 829 prêtres déportés à Rochefort, 274 survécurent. Les déportés de Bordeaux, d’abord transférés à Brouage, ne furent conduits à Saintes que plus tard. 250 prêtres sont morts sur les 1494 emmenés initialement à Bordeaux.

La deuxième déportation

En octobre 1795, la Convention ordonne cependant, après ce bref répit, la réclusion ou la déportation des prêtres réfractaires vers la Guyane. Encore une fois, ces départs n’eurent pas lieu, et un décret du 4 décembre 1796 prononcera enfin la libération des prêtres détenus.

Le 18 fructidor de l’an V (4 septembre 1797), un coup d’Etat des républicains du Directoire (le Directoire avait remplacé la Convention dès la fin 1795) contre les modérés et les royalistes, devenus majoritaires aux élections, fait resurgir la ligne dure à la tête de la République. Le pouvoir exécutif s’en trouve renforcé, au détriment du législatif. Les adversaires politiques sont emprisonnés ou déportés. Les précédentes mesures de détente sont annulées et les décrets de proscription envers les prêtres sont renouvelés.

Ils sont à nouveau emprisonnés à Rochefort et quelques-uns sont effectivement envoyés en Guyane, où la mortalité est effrayante. Mais le Directoire se voit obligé de suspendre ces départs - certains navires étant capturés par les anglais - et les prêtres seront entassés dans les citadelles de St-Martin-de-Ré et du Château d’Oléron jusqu’en 1802.

Autel en memoire des Prétres déportés

Autel célébrant la 2ème déportation des prêtres déportés en l’Eglise de Saint Martin de Ré

Citadelle du château d’Oléron

La libération

Le Coup d’Etat du 18 brumaire de l’an VIII (9 novembre 1799) donne le pouvoir à Bonaparte. Le Consulat, nouveau gouvernement remplaçant le Directoire dote la France d’une nouvelle constitution (celle de l’an VIII), trois consuls sont nommés, dont Bonaparte, 1er consul.

Les persécutions des prêtres prennent fin lorsque le Saint-Siège conclut un Concordat avec la France (ratifié le 5 avril 1802). Cet accord, signé par le Pape Pie VII et le 1er consul Bonaparte, réorganise le catholicisme dans le pays .

Cet épisode de l’histoire de l’Eglise pendant la Révolution française sombrera, malgré son ampleur, dans l’oubli, noyé dans les grands bouleversements du XIXème siècle. La région gardera cependant souvenir des évènements et ils seront évoqués par des historiens locaux (cf : Viaud et Fleury, histoire de Rochefort, 1845).

C’est l’abbé Manseau qui, à partir de 1863, consacrera sa vie à faire connaître cette histoire. Peu à peu, ces tragiques évènements sortent de l’oubli, notamment au début du XXème siècle, où des ouvrages consacrés à ces prêtres déportés seront publiés. L’abbé Lemonnier (Rochefort) puis l’abbé Poivert (La Rochelle) approfondiront surtout entre 1910 et 1930, les recherches entreprises. Depuis 1910, un pèlerinage a lieu chaque année au mois d’août dans l’île Madame où un grand nombre des victimes des évènements de 1794 sont inhumées depuis deux siècles. »

Conclusion

Nous pouvons citer cet extrait du livre de l’abbé Jean-Marie Bourrel, (voir bibliographie) :

« Avec le recul du temps, qui nous permet une connaissance meilleure et moins partisane des événements de cette époque, peut-être faudrait-il en cette fin du XXème siècle se poser une question : Comment se fait-il qu’une idée aussi généreuse – liberté, égalité, fraternité – ait pu se changer en son contraire : le sang, la terreur, la violation des droits de l’homme ? » 


(*) Mgr Marcel Meyssignac nous indique, p. 27 de son livre, (voir bibliographie) les interventions du Pape Pie VI, et notamment : « …Un 3ème « Bref » intervint un an après, le 12 mars 1792, qui déclarait cette même constitution, non seulement schismatique, mais hérétique, excommuniant prêtres et évêques élus selon ses règles, qui ne se rétracteraient pas dans les quatre mois. » La réponse ne se fit pas attendre : Le 27 mai 1792 : Vote du 1er décret de déportation des prêtres !

^ Retour au sommaire ^