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PRÊTRES DÉPORTÉS sur les PONTONS

DE ROCHEFORT

durant la RÉVOLUTION FRANCAISE

9 Résolutions

L’abbé Yves Blomme, dans le colloque sur « La déportation de l’An II », nous révèle de quelle manière les déportés réussirent à préserver, dans le secret, une authentique vie spirituelle :

« … Pourtant on aura encore manqué l’essentiel tant qu’on n’aura rien dit de l’esprit qui règne parmi la grande majorité des déportés. Beaucoup se font infirmiers pour soigner leurs confrères malades. La contagion les emportera d’ailleurs presque tous. Face à l’interdiction absolue de toute prière, maints subterfuges permettront de conserver une authentique vie spirituelle. Un cahier de résolutions est même composé par plusieurs prêtres des Deux-Associés. On y découvre un étonnant esprit d’abandon à Dieu et l’engagement à pardonner les offenses. Il n’est pas douteux que seule la force de l’amour aura donné à ces malheureux le courage de survivre dans ce véritable enfer. Comme l’a dit un jour l’un d’entre eux, par une formule qui ne tarda pas à devenir leur commune devise :

« Si nous sommes les plus malheureux des hommes, nous sommes aussi les plus heureux des chrétiens ! »

En voici le texte intégral :

Résolutions

rédigées par les Déportés détenus sur le navire « les Deux Associés »

I
Ils ne se livreront point à des inquiétudes inutiles sur leur délivrance ; mais ils s’efforceront de mettre à profit le temps de leur détention, en méditant sur leurs années passées, et formant de saintes résolutions pour l’avenir, afin de trouver, dans la captivité de leur corps, la liberté de leur âme. Ils regarderont aussi comme un défaut de résignation à la volonté de Dieu les moindres murmures, les plus légères impatiences, et surtout cette ardeur excessive à rechercher les nouvelles favorables, qui ne peuvent qu’introduire dans leur âme cet esprit de dissipation si contraire au recueillement continuel dans lequel ils doivent vivre, et à cette soumission sans bornes à la volonté de Dieu, qui doit leur ôter toute inquiétude sur l’avenir.

II
Si Dieu permet qu’ils recouvrent, en tout ou partie, cette liberté après laquelle soupire la nature, ils éviteront de se livrer à une joie immodérée, lorsqu’ils apprendront la nouvelle. En conservant une âme tranquille, ils montreront qu’ils ont supporté sans murmure la croix qui leur avait été imposée, et qu’ils se disposaient à la supporter plus longtemps encore, avec courage et en vrais chrétiens qui ne se laissent pas abattre par l’adversité.

III
S’il était question de leur rendre leurs effets, ils ne montreront aucune activité à les réclamer ; mais ils feront avec modestie et dans l’exacte vérité la déclaration qui pourrait leur être demandée ; ils recevront, sans se plaindre, ce qui leur sera donné : accoutumés, comme ils doivent l’être, à mépriser les biens de la terre et à se contenter de peu, à l’exemple des apôtres.

Déportés entassés à l’intérieur d’un bateau négrier. Gravure de Camille Mériot.

IV
Ils ne satisferont point les curieux qu’ils pourraient rencontrer sur leur route ; ils ne répondront point aux vaines questions qu’ils leur feraient sur leur état passé ; ils leur laisseront entrevoir qu’ils ont supporté leurs peines avec patience, sans les leur raconter en détail, et sans montrer aucun ressentiment contre ceux qui en ont été les auteurs et les instruments.

V
Ils se comporteront avec la plus grande modération et la plus exacte sobriété dans les auberges ; ils se garderont bien de faire la comparaison, surtout devant des étrangers des mets qu’on leur servira avec leur ancienne nourriture, et de paraître y mettre trop de jouissance ; l’empressement pour la bonne chère deviendrait un grand sujet de scandale pour les fidèles qui s’attendent à retrouver dans les ministres de Jésus-Christ les imitateurs de sa pénitence.

VI
Arrivés dans leur famille, ils ne montreront point trop d’empressement à raconter leurs peines ; n’en feront part qu’à leurs parents et amis, et encore avec beaucoup de prudence et de modération ; ils n’en parleront jamais en public et ne cèderont point aux instances qu’on pourrait leur faire à cet égard. Ils observeront chez eux et chez les autres une égale frugalité, ne recherchant pas les repas, et s’y comportant, lorsqu’ils croiront devoir accepter les invitations qui leur seront faites, avec autant de modestie que de sobriété.

VII
Ils se condamneront au silence le plus sévère et le plus absolu sur les défauts de leurs frères et les faiblesses dans lesquelles auraient pu les entraîner leur fâcheuse position, le mauvais état de leur santé et la longueur de leur peine ; ils conserveront la même charité à l’égard de tous ceux dont l’opinion religieuse serait différente de la leur ; ils éviteront tout sentiment d’aigreur ou d’animosité, se contentant de les plaindre intérieurement, et s’efforçant de les ramener à la voie de la vérité par leur douceur et leur modération.

VIII
Ils ne montreront aucun regret de la perte de leurs biens, aucun empressement à les recouvrer, aucun ressentiment contre ceux qui les possèdent ; mais ils recevront sans murmure les secours que la nation pourra leur accorder pour leur subsistance, toujours contents du simple nécessaire, tant pour les vêtements que pour la nourriture.

IX
Ils ne feront ensemble, dès à présent, qu’un cœur et qu’une âme, sans acception de personnes, et sans montrer d’éloignement pour aucun de leurs frères, sous quelque prétexte que ce soit. Ils ne se mêleront point de nouvelles politiques, se contentant de prier pour le bonheur de leur patrie et de se préparer eux-mêmes à une vie nouvelle, si Dieu permet qu’ils retournent dans leurs foyers, et à y devenir un sujet d’édification et des modèles de vertu pour les peuples, par leur éloignement du monde, leur application à la prière et leur amour pour le recueillement et la piété.

Enfin, ils liront de temps en temps ces Résolutions pour s’en pénétrer, et s’affermir dans la pratique des sentiments qui les ont dictées.

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